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La chronique « poches de très très grande aventure » de François Angelier : Miquel de Palol et Arturo Perez-Reverte

« Trois pas vers le sud. Le Troiacord I » (Tres pasos al sud) et « Autre chose. Le Troiacord II » (Una altra cosa), de Miquel de Palol, traduit du catalan par François-Michel Durazzo, Zulma, « Poche », inédits, 432 p., 11,50 € et 368 p., 11,50 €.
« Le Tableau du maître flamand » (La tabla de Flandes), d’Arturo Perez-Reverte, traduit de l’espagnol par Jean-Pierre Quijano, Folio, « Policier », 462 p., 9,90 €.
Choisir de s’aventurer, en ouverture de la saison poche, étoile au front et carte en main, au cœur des deux premiers volets de la pentalogie Le Troiacord (2001 ; inédits en français jusqu’à présent), du poète et ­romancier catalan Miquel de Palol, revient à dompter un griffon ou à médailler une chimère aux comices agricoles, à mettre en tout cas l’actualité littéraire, soudain dégondée, sous le signe grisant et dispendieux de la TTGA, la Très Très Grande Aventure – celle qui vous fait passer, en trombe et de nuit, de la cryptographie ésotérique au gangstérisme international, de la pornographie managériale à la mystique maçonnique. Un enduro littéraire et une architectonique narrative que Palol maîtrise en virtuose depuis le grandiose Jardin des sept crépuscules (Zulma, 2015) jusqu’au récent Testament d’Alceste (Zulma, 2019).
Avec Troiacord, la mise devient réellement fabuleuse. Placé sous l’invocation d’un vers de l’Iliade, le premier volet, Trois pas vers le sud, déroule la redoutable histoire de Damia Rexta, petit truand finaud exfiltré de sa prison car ayant l’heur d’être le parfait sosie de Gabriel von Egmont, richissime héritier pris dans les rets d’un complot familial et abattu lors d’une remise de rançon. A charge pour Damia de s’assimiler, au fil d’un véritable lavage de cerveau, la culture, le style, les manies érotiques et la vision de son modèle. Processus à risque suivi de près par tout un réseau de conspirateurs familiaux impliqués dans la création du mystérieux « Troiacord », à la fois « lentille accélératrice de particules » et lieu de révélation mystique. Et c’est là que la maestria unique de ­Palol se déploie, car la « gabriellisation » de Damia se fait au fil de conversations sans fin, de dîners éperdus et de conseils d’administration baroques où défilent, comme à la parade, à la fois l’histoire mafieuse de l’économie européenne et sa contre-histoire politique occulte. Les grands arias des conteurs (porté par la traduction ensorcelante de François-Michel Durazzo), devenant des moments de pure fascination verbale.
Une obnubilation fictionnelle qu’on retrouve, densifiée, dans l’acte II, Autre chose, où, à Damia, succède Jaume Camus, un jeune pigiste barcelonais abonné aux reportages scientifiques. L’étonnant professeur Fidel Pla le lance dans une enquête ­érudite entre Rome, Salzbourg et Pérouse, sur le mystérieux « jeu de la fragmentation ». Dépouillement d’archives romaines, conver­sations cryptées lors de dîners d’initiés, marivaudages singuliers, pseudo-tentatives d’assassinats, toute la fantasmagorie littéraire de Palol joue de ­nouveau à plein dans cette chambre d’échos où se répondent et s’harmonisent miraculeusement Illuminati et généraux napoléoniens, conservatrice papale et collectionneurs vénitiens. Le récit culminant avec l’examen d’un échiquier tridimensionnel qui recèle sans doute la clé de voûte de toute l’histoire. On saura gré à Jaume Camus de nous livrer, alors qu’il déambule non loin du Quirinal, la bonne définition de Troiacord : « Une orgie géométrique aussi visuelle que mentale où la proportion, l’équilibre, la sobriété avaient autant de valeur que la variété, l’accumulation et l’excès. »
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